Portrait d'actrice : Nicole Garcia, femme libre, cinéaste intime (2024)

C’est une femme qui tient parole. Elle avait promis de rappeler pour une simple précision et elle a rappelé. Tout le monde n’est pas aussi fiable, surtout dans un métier où l’on est sollicité, fêté, admiré… Or Nicole Garcia est une vraie star, actrice au long cours et réalisatrice adoubée. Cinq longs-métrages derrière la caméra, dont le dernier, « Amants » , poursuit l’échange qu’elle entretient avec l’intimité des êtres depuis 1990, date de son beau « Un week-end sur deux ».

Elle a écrit « Amants » avec Jacques Fieschi,son partenaire de toujours, né comme elle en Algérie. Elle feint de croire que...

C’est une femme qui tient parole. Elle avait promis de rappeler pour une simple précision et elle a rappelé. Tout le monde n’est pas aussi fiable, surtout dans un métier où l’on est sollicité, fêté, admiré… Or Nicole Garcia est une vraie star, actrice au long cours et réalisatrice adoubée. Cinq longs-métrages derrière la caméra, dont le dernier, « Amants » , poursuit l’échange qu’elle entretient avec l’intimité des êtres depuis 1990, date de son beau « Un week-end sur deux ».

Elle a écrit « Amants » avec Jacques Fieschi, son partenaire de toujours, né comme elle en Algérie. Elle feint de croire que leur complicité relève du hasard et non de leurs racines communes, mais propose d’y réfléchir avant de se lancer dans l’une de ses circonvolutions virtuoses, portée par ce timbre reconnaissable entre mille. Voix fêlée, mélodieuse, grave.

« L’inquiétude est fille de la peur et la peur, chez moi, est une compagne depuis l’enfance »

De Fieschi, elle confie qu’il l’accouche de ses films. Une maïeutique à laquelle elle se soumet d’autant plus aisément que pour trouver ses sujets, elle a besoin de chercher quelque chose dont elle ne sait pas qu’elle le cherche. Tout un art de la quête ou de l’épiphanie, c’est selon. Nicole Garcia préfère s’en remettre à l’inconscient. « La soute des émotions » comme elle dit. Et dans ses soutes à elle, il y a d’abord l’inquiétude. « L’inquiétude est fille de la peur et la peur, chez moi, est une compagne depuis l’enfance. J’avais un ami qui me répétait : ‘‘Si tu pouvais commencer tes phrases par autre chose que par : j’ai peur.’’ La peur, ça vous marque très tôt. Ça tient aux gens qui vous entourent, ça laisse des traces… »

L’humour, seconde nature

Elle reconnaît volontiers que cette Algérie où elle est a vu le jour, à Oran, ville espagnole, a posé sa marque. « Je crois que tout vient de là, il y a en tout cas, entre les ombres et la lumière, quelque chose de tranché, sans nuance de gris. Du tragique. Moi, en 1962, j’avais envie de partir, et c’est comme si la grande histoire m’avait aidée. Mais j’ai reçu plus tard en héritage la grande douleur de mon père… »

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Elle avait 16 ans quand elle a traversé la Méditerranée, terminant sa première à Montpellier avant de viser plus haut, des études de philosophie et le Conservatoire d’art dramatique de Paris dont elle est sortie avec un premier prix de comédie.

Mais les rôles se font attendre. Elle reprend la fac, cherche des petit* boulots, passe des castings pour devenir speakerine et c’est un régal de la voir à cette époque, en noir et blanc, dans les archives de l’INA, lire un texte où le deuxième degré semble chez elle une seconde nature. Elle a déjà cet humour larvé, une grâce de fausse ingénue drolatique à laquelle le cinéma n’a guère rendu hommage dans ses jeunes années.

« Quand j’ai commencé au conservatoire, raconte-t-elle, j’étais jeune première de fantaisie et puis j’ai perdu mes joues et je suis devenue une princesse de tragédie, et j’ai poursuivi dans un registre assez grave. La fantaisie n’y était pas requise. Mais la joie est une bonne partenaire pour moi et je suis très affolée quand elle s’efface… »

"C’est comme si j’avais été actrice pour des raisons intimes, de l’ordre de la névrose"

Au début, elle voulait surtout être regardée. « C’est à l’origine de toutes les vocations de comédien, fait-elle remarquer. Et quand on est une simple actrice comme on dirait simple soldat, c’est très difficile. Il faut beaucoup aimer les acteurs, il y a beaucoup d’angoisse dans ce métier… Est-ce que devenir cinéaste a changé les choses ? C’est comme s’il m’avait fallu des détours pour en arriver là où je devais arriver. Ça m’appartenait d’arriver là. J’adore jouer, mon narcissisme en a besoin, et en même temps, c’est comme si j’avais été actrice pour des raisons intimes, de l’ordre de la névrose, alors qu’être cinéaste me donne la liberté. C’est la petite fille qui a voulu être actrice et c’est une adulte libre qui a été réalisatrice… J’aurais pu commencer plus tôt… »

Resnais, la source de son désir

Alain Resnais , dont elle a été l’interprète dans « Mon oncle d’Amérique » , lui a permis de passer le cap. Du moins c’est ainsi qu’elle l’analyse après coup. « C’est sur son film que j’ai puisé la source de mon désir de mise en scène. Mais je ne l’ai pas su à ce moment-là… »

On est au début des années 1980. À la suite d’une rupture sentimentale, elle a envie de filmer son petit garçon, Frédéric, qu’elle a eu à 19 ans. On lui propose d’écrire une histoire qu’elle tourne sur l’île de Ré. Sans grand plaisir. « C’est au montage que j’ai eu la révélation du cinéma. Quand tout à coup il n’y a plus que l’entrechoc des images qui donne un sens différent à un film qu’on croyait maîtriser et qui vous revient plus intime, plus proche de vous. Depuis, j’ai apprivoisé cette trilogie de la réalisation – scénario, tournage, montage –, mais je sacralise beaucoup le montage, c’est là qu’on voit vraiment ce qu’on a tourné. Quelque chose qu’on n’imaginait pas… »

"Une force vitale"

Cette part d’autobiographie qui échappe à l’auteur fait la cohérence d’une œuvre. Les films où elle joue parlent d’elle bien sûr, mais ceux qu’elle fabrique percent une douleur plus indécelable. « On peut décrypter beaucoup de mes fragilités et de mes forces quand je joue, mais dans mes films, il y a mon appréhension des êtres et du monde, et comme je fais des films de plus en plus noirs… » Elle rit. Parce que malgré tout, elle ne peut pas s’empêcher d’être vive, légère. « Une force vitale » dit son fils aîné. Bienveillante et joyeuse.

D’ailleurs, les cinéastes ont enfin compris le parti qu’ils pouvaient tirer de son humour. Elle est irrésistible en marabout thérapeute dans « L’Origine du monde » qui sortira en février. Sa gravité ubuesque y fait merveille. Comme si à l’écran, elle avait acquis désormais une aura de grande prêtresse. Non qu’elle soit tellement pleine de son savoir mais parce qu’elle possède ce don de ne pas prendre les choses pour acquises. Avec elle, tout est toujours à venir.

Portrait d'actrice : Nicole Garcia, femme libre, cinéaste intime (2024)

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